« NOTRE MUSIQUE S’INCRUSTE DANS LES PROGRAMMES DE LYCÉE ET DANS LES THÈSES D’UNIVERSITÉ »
Lord Ekomy Ndong ☥ de son vrai nom « Ekomy Ndong Mba Meyong » est un rappeur militant d’origine gabonaise il écume la scène du hip hop depuis près de vingt ans avec son « combi » Matt seigneur lion, à eux deux ils forment le crew Mauvaiz haleine. Nous sommes allés à la rencontre de cet artiste qui distille le rap engagé sur des mélodies traditionnelles.
AFRICAGROOVE : Qui se cache derrière cet artiste qu’est Lord Ekomy Ndong ☥?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Un artiste qui se bat à travers sa musique pour que son continent retrouve la mémoire et pour que ses semblables se rassemblent.
AFRICAGROOVE : Au départ tu te faisais appeler M16, pourquoi avoir pris Lord Ekomy Ndong ☥, est-ce une démarche militante voire panafricaniste ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Je n’ai pas choisis Ekomy Ndong ☥, c’est réellement mon nom. « Lord » est juste un clin d’œil pour rappeler qu’on est un peuple de dieux. À l’heure où la plupart de ceux à qui je ressemble ont été amputés de leurs noms j’ai choisi de mettre le mien en valeur de manière à ce que l’on m’appelle par mon vrai nom, pas un nom d’esclave, pas un nom de maitre d’esclave, ni un nom de série télé parce que c’est malheureusement comme ça que ça se passe pour nous en général.
Seize, Sixteen (16) est un surnom qui date de 1993 et par lequel on m’appelle encore aujourd’hui. C’est vrai qu’à nos débuts tous les MC avaient des pseudonymes les plus américains et les plus fâchés possible. Mais J’ai essayé de faire disparaitre 16 ça de ma carrière musicale parce que je préférais mettre en avant mon identité véritable plutôt que de faire la publicité d’un fusil d’assaut américain (car le M16 est une arme).
AFRICAGROOVE : Partant de ce fait beaucoup de jeunes rappeurs gabonais utilisent leurs noms de famille ou des noms africains comme « Blaze», penses-tu les avoir inspirés ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Oui j’en connais qui ont suivi cette logique là. On en a inspiré beaucoup et c’est tant mieux non? Si on peut influencer notre environnement avec de petites choses, autant utiliser cette influence à bon escient.
AFRICAGROOVE : Et toi quelles sont tes influences ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Mes influences,
-l’esprit du hip hop Old school où il était question de soigner notre communauté par la magie de la musique noire. Les ‘‘Ba’’ Public Enemy, Brand Nubians…
-l’esprit pieux mais guerrier de la musique reggae et de ses grands noms … les Burning spears , « les » Bob Marley
-le génie de la musique traditionnelle africaine, ses images , ses symboles, ses mélodies, ses danses et les artistes qui aujourd’hui témoignent encore un peu de cette logique ( Akendengué, Francis Bebey, Donny Elwood )
AFRICAGROOVE : Comment te sens-tu après avoir obtenu un kora ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : À la base je n’étais pas intéressé par tout ça. J’avais juste été informé de ma nomination par un courrier du comité des KORA. Mais pour dire vrai c’est en parlant avec ma mère et en voyant à quel point elle était fière que j’ai pris la mesure de l’évènement. J’ai compris qu’il faut le prendre comme une reconnaissance réelle de notre combat à l’échelle internationale.
Je sais que l’on est récompensé pour nos dernières sorties et la démarche musicale qui les englobe. On parle du titre BI SE FE NALE, mais derrière ça j’ai sorti 2 solos et produit une quinzaine d’albums avec Zorbam Produxions ,Maat et MOVAIZHALEINE depuis 20 ans.
AFRICAGROOVE : Valorise-t-on assez les artistes africains ? Quand on voit ce qui s’est passé aux kora Awards ou encore avec ces concert gratuits ayant pour invités des stars étrangères ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : J’en parle dans le titre nous .Je t’avoue que tout dépend de l’objectif recherché par ceux qui organisent ces concerts. Gros budgets (centaines de millions) mais gratuits. Tout dépend aussi de l’origine des fonds. Si ce sont des fonds privés, on sera mal placé pour donner des leçons.
Par contre, pour le même budget on a de quoi offrir un concert de très grande qualité, son, lumières, flammes, et faire en sorte que les gabonais se sentent plus concernés avec un groupe comme MOVAIZHALEINE. Dans le même temps on mettrait même assez d’argent de coté pour construire quelque chose au sortir de tout ça, une école par exemple.
AFRICAGROOVE : Ton album « Ibogaïne » a bien marché au Gabon, qu’en est-il au niveau de l’hexagone ?
LORD EKOMY NDONG ☥: Avec 3 ruptures de stock dès sa sortie IBOGAÏNE reste la meilleure vente CD du Gabon, aux dernières nouvelles. C’est le cas à chacune de nos sorties depuis 2003 où l’album de Maat avait tout pulvérisé.
Pour ce qui est de l’étranger, l’album est disponible sur toutes les plateformes légales de téléchargement et ça fonctionne très bien aussi.
AFRICAGROOVE : Pourquoi avoir utilisé des sons tels que « Engôngôle » ou « 300809 » dans l’album alors qu’ils sont sortis des années auparavant ? On a comme l’impression que t’as fait du remplissage.
LORD EKOMY NDONG ☥: Remplissage? Non, l’album contient 19 plages et même en enlevant ces 2,3 titres, ça reste un album déjà « rempli » par contre.
Il fallait que ces titres soient disponibles sur support physique pour ceux qui les avaient entendu jusqu’ici sans pouvoir se les procurer.
Ibogaïne est un film. Un concept qui explique plusieurs aspects de l’actualité africaine et le regard qu’on y porte. Du coup chaque titre est une pièce importante de ce puzzle.
Engôngôle et 300809 sont sortis dans un contexte politique particulier. L’annonce du décès du président Bongo, puis les élections présidentielles controversées du 30 08 09.
Je pensais important de graver ces moments de l’histoire du Gabon même si ça a été une opération kamikaze, surtout que tout le monde est resté pratiquement muet sur la situation du Gabon.
AFRICAGROOVE : Dans ce projet tu as travaillé avec des rappeurs français tels que Youssoupha , quel rapport entretiens-tu avec le rap Français ?
LORD EKOMY NDONG ☥: je n’ai pas de rapport spécial avec le rap de France pour l’instant. La plupart des contacts que j’ai dans le rap français se sont fait dans le cadre de notre activisme et notre combat pour notre communauté et la reconnaissance de son histoire… J’entretiens des contacts avec des artistes précis dans ce contexte précis pour l’instant.
Youssoupha, Lalcko et Al Péco m’ont rejoint sur le titre AFRIKANGANXTAZ parce que ce sont les plus africains des MC de Mbeng venant du Cameroun, RDC et Mali. Ils étaient parmi les mieux placés pour évoquer les gangsters au pouvoir un peu partout sur notre continent, Youssoupha a par la suite joué sur la même scène que nous à Libreville et Port-Gentil .
AFRICAGROOVE : Hormis ce don pour l’écriture, tu composes aussi des beats, comment te vient l’inspiration ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : je m’inspire de tout.
En réalité chaque compositeur n’a que 2, ou 3 chansons qu’il ne fait que répéter à l’infini avec des techniques différentes pour créer des « titres » différents.
Je m’inspire donc de tout ce que j‘entends, tout ce qui est dans l’air du temps et des sonorités traditionnelles d’Afrique centrale.
AFRICAGROOVE : En parlant de Beatmakers en connais-tu certains dans ton pays le Gabon ? As-tu ou envisages-tu de travailler avec certains d’entre eux?
LORD EKOMY NDONG ☥ : bien évidemment j’en connais ! Je connais très bien Jon Looka, c’est mon « frère ». Shogun aussi est un des nôtres et il a un projet en préparation, Dobble Pee de CIA posse X bossait comme moi chez Jah Observer. Popzek Poseidon et moi nous sommes croisés à l’époque à LBV et à Dakar ou il m’a accompagné sur scène. Plus Jeune, plus frais et plus proches de moi il y a mes éléments Hokube, Bougard, & Mike Mef qui est un des plus prolifiques. Il y a Dr Dragon (que je considère comme mon petit frère) est de plus en plus fort. Mais Je peux aussi citer NixDaStunna (mon petit tu m’as mal fait hein), Ou Micky Rain qui est un génie aussi. Enfin il y a mon petit-de-confiance T.O que je veux faire travailler sur de plus en plus de projets, il a produit « le way là ».
AFRICAGROOVE : Il se dit de toi que tu acceptes rarement les collaborations avec ceux qui ne sont pas de ta team « Zorbam », est-ce une façon de se préserver ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Rien que dans le tome 2 j’ai réalisé un titre avec une quinzaine des MC les plus visibles du Gabon.
(Johnny B Good, Misu Mapindi, Krash Lo Grav K, Massassi, Tina, NGT, Djhino, Buju Lynx, Régis Divassa, Lestat XXL, Bubal Bu Kombil, Digols, Rodzeng, Tat Kombil, Kvin K Stell, Ndjassi Ndjass, etc)
Ceci dit je ne travaille qu’avec quelqu’un que si l’état d’esprit et la démarche convergent, on ne « fait pas pour faire ».
AFRICAGROOVE : Quel analyse peux-tu faire de ce hip hop gaboma ? En plus large quel regard portes-tu sur le rap africain ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Analyser le hip hop gabonais, la question m’ennuie pour être honnête.
Pour ce qui est du rap en Afrique, je suis convaincu depuis le début que c’est par ici que va renaître la partie de la culture hip hop qu’on a tué ailleurs. Just Wait and See, on est dans le bateau.
AFRICAGROOVE : « Africain » justement c’est le titre de ton premier album, en tant qu’africain que penses-tu de la situation du continent ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Ce qui se passe en Afrique est à la hauteur du manque de considération qu’ILS ont pour nous depuis l’époque du siècle des lumières. C’est précisément parce qu’ILS ont du mal à nous reconnaitre en tant qu’êtres humains réellement qu’ILS peuvent orchestrer l’instabilité et les massacres de millions d’africains au nom du Coltan, Pétrole, Uranium, Or, Diamant., etc.. Aucun kilomètre carré du continent n’est épargné. Remplace juste chaque ressource par un Pays africain, ensuite remplace chaque état africain par une firme multinationale, à ce moment tu verras le regard que l’on porte sur le continent noir.
AFRICAGROOVE : Jeune Afrique t’a classé dans les 50 personnalités les plus influentes du Gabon en 2012, nos félicitations. Qu’as-tu ressenti à la lecture de ce classement ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : Notre musique s’incruste dans les programmes de lycée et dans les thèses d’université, notre musique adopte et rénovent des écoles. Les gabonais se déplacent par millier pour nos concerts, ils écoutent notre musique et son contenu. Et en plus cette génération là est aujourd’hui largement majoritaire au Gabon, et ailleurs en Afrique. Donc oui on a de l’influence par le biais de notre musique. Les politiques l’ont compris depuis longtemps, c’est pour ça qu’ils fricotent avec la musique. C’est normal que Jeune Afrique aussi l’ait noté.
AFRICAGROOVE : Que penses-tu du site Africagroove ?
LORD EKOMY NDONG ☥ : je ne connais pas encore Africagroove, je vais prendre le temps de le découvrir ! Mais c’est bien d’être passé de LBV à AFRICA, c’est un peu comme nous,
AFRICAGROOVE : C’est exact frère africain avant tout. Alors un dernier mot à l’ endroit des internautes.
LORD EKOMY NDONG ☥ : Merci de nous soutenir depuis 20 ans, merci pour les kora awards
Get ready for SEIGNEUR LION. www.ekomyndong.com
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